Description du projet

UNE OEUVRE INSPIRÉE D’UNE PHOTO INÉDITE
La photo qui a inspiré la composition de Mon vicaire
est un don fait à la Société d’histoire de la Rivière-du-Nord.
Il s’agit d’un ferrotype dont l’existence était jusqu’alors inconnue
et qui met en scène le curé Labelle et Arthur Buies.

MON VICAIRE

Cette toile nous raconte une amitié qui, de prime abord, pourrait nous sembler improbable. Celle unissant un prêtre et un anticlérical, deux hommes que les cadres sociaux destinaient à mener des vies opposées, mais dont les chemins se sont pourtant croisés. Une rencontre qui, au départ, fut de nature professionnelle, mais qui s’est rapidement transformée en une authentique et profonde amitié.

Né le 24 janvier 1840 et décédé le 26 janvier 1901, Arthur Buies, écrivain, journaliste, essayiste et pamphlétaire, fut sans nul doute l’un des esprits les plus controversés du Québec de la deuxième moitié du 19e siècle. Ouvert aux grands courants politiques, sociaux, culturels et économiques et doté d’un goût marqué pour la polémique, il fut un impitoyable critique des travers et lenteurs de son époque. Mais c’est sans contredit sa Lanterne, un journal satirique radicalement anticlérical, publié de septembre 1868 à mars 1869, qui suscita le plus de remous et qui jeta dans l’émoi le clergé en général et Mgr Bourget en particulier.

C’est en 1879 que Buies rencontre le curé Labelle. Ce dernier admirait son talent littéraire qu’il souhaitait mettre au service de sa cause. Il lui obtient un emploi au ministère des Terres de la Couronne. En 1881, il sera nommé agent général de la colonisation et rédigera des monographies vantant le potentiel des différents territoires du Québec. Il effectua plusieurs voyages d’exploration, parfois en compagnie du curé Labelle, afin de se documenter et d’étudier les régions sur lesquelles il devait écrire.

 

UNE ADMIRATION MUTUELLE
Dans une lettre adressée à Buies, Antoine Labelle écrit : «Les Laurentides ont trouvé en vous leur véritable chantre. Vous en avez saisi la beauté. Votre puissant talent descriptif s’est manifesté dans toute sa souplesse et votre style a le charme de nos beaux lacs.» 1

Pour sa part, Buies, déjà favorable à la colonisation, percevait le prêtre comme celui qui pouvait «pénétrer les voiles de l’avenir et pressentir l’incubation de tout un monde nouveau dans ce nord qui venait à peine d’être entamé» 1. Aux yeux du polémiste, Labelle personnifiait la raison, la science et le progrès, des valeurs communes à ces deux originaux qui les uniront sous le sceau de l’amitié. Une amitié qui fera fi des différences qui, en apparence, devaient les séparer.

Le titre de l’œuvre, Mon vicaire, est tiré d’une lettre du curé Labelle adressée à son ami le 6 décembre 1882 et dans laquelle il appelle l’anticlérical «mon vicaire». 2 L’obscurité qui enveloppe les deux personnages symbolise l’ignorance chassée par les lumières jumelées de leur lanterne. En arrière-plan, les érables incarnent les Canadiens français. Les deux hommes tiennent des lanternes identiques à celle qui illustrait le controversé journal satirique du pamphlétaire. L’artiste souhaite ainsi souligner la sagesse d’Antoine Labelle, surnommé «Père bon sens», qui reconnaissait avant tout la passion de son compagnon pour l’avancement des idées sans se formaliser outre mesure de ses débordements littéraires. Ne dit-on pas que ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous sépare ?

deux-lanternes

Le titre et l’idée de la Lanterne d’Arthur Buies sont empruntés à celle d’Henri Rochefort. Buies réédita La Lanterne sous forme de livre en 1884. Photo de droite: Henri Rochefort.

La page frontispice de La Lanterne de Buies est une allégorie riche en symboles: «Le dessin est un crayon de M. Boisseau, artiste et surintendant de l’Institut Canadien. Il comporte aussi une lanterne qui emprunte la forme d’un guerrier; de son pied gauche, celui-ci écrase une hydre dont les sept têtes expriment l’effroi; le bras gauche de la lanterne-guerrier porte un immense bouquin en guise de bouclier et le bras droit est armé d’une gigantesque plume d’oie bien aiguisée; la lueur très vive de la lanterne éclaire l’arrière-plan où divers personnages, dont l’un mitré, s’enfuient épouvantés.» 1

1- Source: Arthur Buie, homme de lettre, Léopold Lamontage. Ed. PUL, 1957, p.92
Source des images: collection privée Dominique Beauregard.

Arthur Buies en compagnie du curé Labelle lors de l’une de leurs nombreuses expéditions.
À la gauche du curé, Isidore Martin, son  fidèle compagnon.

Photographie prise à la Chute aux Iroquois (Labelle) vers 1890. SHRN.

«Demain, mardi après-midi, je pars dans le canot du curé Labelle pour faire le tour des lacs. Nous camperons deux nuits sur leurs bords, successivement, et nous serons de retour jeudi soir. Vendredi matin, nous nous mettrons en route pour l’Annonciation à 15 milles d’ici, et de là pour le Nominingue qui sera, je le crois, le terme de mon voyage pour cette fois. Il n’y a pas moyen de faire en un seul voyage tout ce que m’a demandé le curé Labelle;  il faudrait pouvoir aller dans toutes les directions à la fois.»

Lettre d’Arthur Buies à sa femme, Chute aux Iroquois, 3 septembre 1888, Arthur Buies, Correspondance (1855-1901), Francis Parmentier, 1993.