Description du projet
LA GRANDE TRAVERSÉE
Peu de gens savent que le curé Labelle entreprit deux importants voyages en Europe. Encore moins sont au fait de la popularité qu’il a connue sur le Vieux Continent. Ce «gros curé de 333 livres» d’outre-Atlantique est devenu la coqueluche de plusieurs cercles. Des photos et des articles couvrant ses allées et venues noircissaient les pages des plus grands journaux européens. Sa personnalité «abondante», ses manières «rustiques» et son franc-parler amusaient ses hôtes. Le tonitruant curé de Saint-Jérôme contrastait avec la haute société guindée de l’Europe du 19e siècle. Non seulement en était-il conscient, mais il l’admettait aussi de bonne grâce: «Ce matin, Mr l’abbé Cassegrain a critiqué mon attitude dans la soirée d’hier. Il a ajouté qu’il a entendu dire à deux personnes présentes que j’étais ou fou ou soûl. Je me rappelle que je me suis peut-être trop abandonné à l’impétuosité de mon caractère. Comme vous l’avez si bien écrit, je n’entends rien à la civilisation moderne et je m’en réjouis, mais pas au point de causer de la confusion à des amis. Je vous prie d’excuser cette trop grande expansion rustique de ma part.» 1
Outre l’exotisme de son personnage, il fut fort apprécié par les Européens qui reconnurent en lui un homme d’une grande droiture, un fin stratège, persuasif et déterminé à créer des liens fructueux entre l’Europe et l’Amérique française. Ses deux périples avaient pour objectif de recruter de nouveaux colons, de stimuler les échanges économiques avec les pays francophones d’Europe et de régler quelques dossiers à Rome. Il effectua son premier voyage en 1885. C’est en tant que sous-ministre de l’Agriculture et de la Colonisation qu’il entreprit sa deuxième traversée en 1890.
UN PASSAGER QUI N’A RIEN DE CLANDESTIN
«Dès les premiers jours de la traversée, je remarquai un homme très grand, très gros, à la face rubiconde et à l’œil réjoui. Il se promenait sur le pont, toujours la pipe aux dents. Son costume aussi attirait l’attention. Il était vêtu d’une grande soutane ouverte sur le devant et coiffé d’un chapeau haute-forme. Il allait de l’un à l’autre, riant et plaisantant avec ceux qu’il connaissait déjà, et cherchant à lier conversation avec ceux qu’il ne connaissait pas encore. Je sus de suite que celui vers qui se portait l’attention de tous était le curé Labelle» 2, peut-on lire dans un article de l’époque qui décrit de belle façon la personnalité engageante d’Antoine Labelle.
La grande traversée s’attarde au voyage de 1885. Labelle était accompagné par l’abbé Jean-Baptiste Proulx qui fut son secrétaire et celui qui a rédigé deux brochures sous sa direction: Le Canada, le curé Labelle et la colonisation et Le guide du colon français au Canada. Les deux hommes se tiennent sur le pont du bateau à vapeur Circassian. Le curé Labelle est placé en figure de proue du bateau dont les voiles sont ornées de trois symboles inspirés d’une citation du prêtre : «J’apporterai avec moi trois drapeaux : ceux de l’Église, de l’Angleterre et de la France.» 3 
«Les Canadiens ne pourront jamais se figurer à quel point il a été aimé, admiré, envié, par leurs frères du vieux pays. À Paris, à Lille, à Bruxelles, à Orléans, en Normandie, partout il charmait, persuadait, enrôlait tout le monde…»
Le curé Labelle, sa vie et son œuvre, par l’abbé Elie-J. Auclair, 1930.
«Je suis heureux de sa compagnie. C’est un homme pleins d’idées, qui ne suit pas les sentiers battus, qui a beaucoup fréquenté les hommes, et avec qui il est toujours agréable et même utile de converser.»1
1 En Europe par ci, par là, J.-B. Proulx, 1891
Gravure : En route pour la Baie d’Hudson, J.-B. Proulx,1898. Collection privée Dominique Beauregard.
«M. Labelle passe des heures, collé à la fenêtre, à contempler la lutte du vaisseau avec les vagues furieuses. Il aime le grandiose de ces commotions de la nature. Quelques années passées, comme des nuages sombres montaient à l’occident, que le tonnerre approchait en grondant sourdement, que les éclairs sillonnaient les nues, il était tranquillement assis sur sa galerie, à Saint-Jérôme, regardant venir l’orage.» 1