La lettre qui fait l’objet de cette chronique est tirée du fonds Isidore Martin de la Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides.

Le 13 janvier 1890, quelque part dans l’immensité de l’Atlantique, à bord du bateau La Normandie qui le mène vers sa deuxième mission officielle européenne en tant que sous-ministre de la colonisation, le curé Labelle nous prouve dans une lettre qu’il adresse à son fidèle Isidore que son cœur est resté à Saint-Jérôme. Malgré ses lourdes responsabilités officielles, le curé estime que ce n’est pas une excuse pour ne pas s’assurer que ses deux juments soient mises au mâle l’été venu : «Tu sais Isidore qu’il faut avoir soin de nos bêtes sans avoir besoin de te le recommander. Tu mettras encore les deux juments au même mâle l’été prochain.»*

Une fois les juments bien servies, ce n’est pas tout, les vaches doivent elles aussi être traitées aux petits soins : « Quant aux vaches, soigne-les sous le silo et ajoute trois fois par jour une livre de son ou de gru sans parler de la paille et du foin qu’il faut leur donner.»*

Et le fumier? Et bien, le fumier, on ne l’épand pas n’importe comment : « Mets ton fumier avant le hersage, car c’est un sol léger et le hersage enterrera le fumier juste ce qu’il faut.»*

Vient ensuite une série de recommandations concernant les cultures de luzerne, la plantation du blé d’Inde et l’épandage du phosphate de chaux.

Cette lettre pourrait sembler anecdotique. Pourtant, elle en dit beaucoup sur l’esprit du personnage. Figure emblématique de son époque, le curé Labelle en dépit de ses titres et de ses hautes fonctions reste un homme humble, attaché aux choses de la terre et aux colons qu’il aime par-dessus tout. Depuis sa cabine à bord de La Normandie, à la veille de fouler pour la deuxième fois les terres du vieux Continent, ses pensées se tournent non pas vers sa destination, mais vers sa patrie. Il se soucie de «son monde» et se préoccupe des petits détails de leur quotidien.

Les dernières lignes de sa lettre à Isidore sont consacrées à sa mère : « Ayez bien soin de maman et par vos soins empressés raccourcissez-lui la douleur de ma déportation. Présenter mes bons respects à toute la maison et à toute la province. Endurez-vous les uns et les autres pour mieux remplir la loi de J.C.»*

Une fois arrivé à destination et reçu dans les salons de la haute société européenne de l’époque, le curé Labelle aura l’esprit en paix, car il saura que ses deux juments seront mises au mâle et que le fumier sera étalé de la bonne façon!

Par André Bérard

*Fonds Isidore Martin, Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides.
Le bateau La Normandie à bord duquel s’est embarqué le curé Labelle pour son second voyage officiel en Europe. C’est de l’une des cabines de ce navire que le curé a rédigé la lettre adressée à son fidèle Isidore Martin.