Description du projet
PATER MEUS AGRICOLA
Le dernier chapitre de la vie du Roi du Nord fut l’un des plus houleux alors qu’il recevait un «cadeau empoisonné»: sa nomination à la prélature.
En 1889, sous l’impulsion du premier ministre Mercier, le curé Labelle, sous-ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, est élevé à la prélature par le pape Léon XIII. Il est nommé protonotaire apostolique et gratifié du titre de Monseigneur, et ce, contre la volonté de Mgr Fabre, archevêque de Montréal. Guère enclin aux honneurs, l’obtention de ce titre qu’il ne convoitait pas vraiment fit dire au curé de Saint-Jérôme: «Tout cela ne me plaît pas, car je sens que le titre de curé Labelle ou du gros Labelle ou du father Labelle comme disent les Anglais, me va à merveille. La pourpre romaine gêne mes allures libres et je travaille mieux derrière le rideau que sur le chandelier.» 1
Bien que l’intention de Mercier ait été de remercier son sous-ministre, cette nomination plaça Labelle au centre d’un conflit ouvert entre le gouvernement du Québec, Mgr Fabre et le Vatican. Des hostilités dont Labelle estimait être la victime : «Il est vrai que je semble, dans les circonstances, être la victime que l’on a couverte de fleurs pour mieux l’immoler.» 2
Mgr Fabre s’opposait à toute prélature autre que la sienne au sein de son diocèse. Il pressentait que la nomination de Labelle ouvrirait la voie à la réalisation du grand rêve du Roi du Nord: la création d’un nouveau diocèse au nord de Montréal et dans la vallée de l’Outaouais et qu’il serait ainsi privé d’une partie de son diocèse.
Une bataille se livra jusqu’au Vatican où Labelle déposa un mémoire visant à anéantir les efforts de l’archevêque de Montréal qui voulait contrer son projet de diocèse. Mgr Fabre répliqua en se rendant à son tour dans la Ville éternelle pour y présenter son propre réquisitoire contre Labelle et mena une campagne dans le but de le discréditer au sein du Saint-Siège.
SON DERNIER COMBAT
Au terme de cet ultime combat mené pour l’obtention de son diocèse dont il rêvait depuis 1879, le 23 décembre 1890, quelques jours avant l’annonce de sa démission du poste de sous-ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, une missive officielle arrivée de Rome rejette formellement sa demande. La décision est sans appel. Elle anéantira le Roi du Nord : «Ses amis, ses intimes seuls savent ce qu’eut de douloureux et de poignant pour lui la nouvelle venue tout à coup de Rome, à l’heure même où il croyait son rêve plus que jamais réalisé.» 3
SON DÉCÈS
Le 4 janvier 1891, peu de temps après que soit tombé le verdict du Vatican, le curé Labelle rendait l’âme à Québec. Selon les témoignages, il s’éteignit d’une façon toute spéciale, fidèle au personnage qu’il fut tout au long de sa vie, en déclenchant l’hilarité générale chez les amis venus l’assister dans ses derniers moments.
En dépit des efforts de Mgr Fabre pour effacer le souvenir de Labelle, même plusieurs années après sa mort, l’histoire aura rendu justice au dévouement du missionnaire colonisateur en le maintenant plus que jamais vivant dans la mémoire collective.
Pater Meus Agricola est sans nul doute la toile de la série Les Stations du curé Labelle qui recèle le plus grand nombre de symboles. L’œuvre se déchiffre comme une carte du tarot de Marseille. Le curé se tient debout devant sa petite église de Saint-Jérôme. Dans le bandeau chapeautant la scène, on peut lire la devise qu’il a choisie lors de sa nomination à la prélature : Pater Meus Agricola (mon père agriculteur). C’est pourquoi il se tient humblement au côté d’une javelle de blé et de quelques fruits tirés de la terre nourricière. La boîte de Pandore d’où s’échappe un scorpion symbolise le cadeau empoisonné que fut sa nomination. L’agneau avec sa croix est tiré des armoiries de Mgr Fabre et personnifie l’archevêque qui s’employa à faire obstacle au projet de diocèse de Labelle. L’érable et le chêne incarnent respectivement le premier ministre Mercier et Labelle. La violette est quant à elle un symbole de modestie, d’humilité et sa couleur est celle du deuil. Finalement, le serpent illustre la jalousie, les jeux de coulisses le salissage et la calomnie.
Photo du curé Labelle vers 1889, J. Bélanger. HAL
«Connaissant les vertus qui ornent votre vie, dit le bref, et le travail utile que vous avez fourni dans l’institution et la fondation de tant de paroisses, établies à la gloire de Dieu et dans l’intérêt du salut éternel des âmes, pour récompenser votre mérite et vous témoigner notre bienveillance, nous nous sommes persuadés qu’il nous convenait de vous conférer ce titre et cette dignité…»
«Dans ces armes de prélat — une simple gerbe de blé — il mit cette devise des humbles, qui rappelait son amour du sol et l’œuvre de sa vie : Mon père agriculteur — Pater meus agricola.»
Le curé Labelle, sa vie et son œuvre, l’abbé Elie-J. Auclair, 1930.
«Quand je me retirerai du gouvernement, ce qui me paraît arriver bientôt à moins que Rome décide le contraire ou manifeste ses désirs, j’espère avoir une pension sur mes vieux jours et aller m’ensevelir dans le Nord, pas loin de tes belles propriétés. Nous aurons un chemin de fer pour nous conduire en bas quand l’ennui nous prendra en haut. Là loin du tracas des hommes, de leurs passions, de leurs bassesses, de leur ambition, de leur fourberie, de leur duplicité, de leur jalousie, de leur perfidie, nous vivrons dans le repos, la tranquillité comme bon rat dans son fromage.»
LABELLE, A. : Lettre du 4 mai 1890, à Isidore Martin. P05 Fonds Isidore Martin., La Société d’histoire et de généalogie des Hautes-Laurentides
Le curé Labelle s’éteignit d’une façon toute spéciale, fidèle au personnage qu’il fut tout au long de sa vie, en déclenchant l’hilarité générale chez les amis venus l’assister dans ses derniers moments.
«Pendant qu’on récitait autour de lui les prières des agonisants, le médecin vint lui dire qu’il n’en avait plus que pour quelques minutes : «Plus vite ! marche ! marche dit-il à ceux qui priaient. De temps à autre, le P. Mouvet, un ancien missionnaire qui l’avait connu autrefois, s’approchait de lui pour lui adresser des exhortations : «Monseigneur, lui disait-il; vous avez choisi un beau jour pour mourir; c’est aujourd’hui le martyre de Saint-Laurent »… Puis, s’apercevant de son erreur : «Nous sommes à dimanche; «c’est l’octave des Saints Innocents»…
Le malade eut alors un accès de gaieté : «En ce cas, j’aimerais mieux attendre à demain»… Et sa voix s’éteignit dans un éclat de rire tellement communicatif que les assistants ne purent réprimer leur hilarité. Trois minutes après, le curé de Saint-Jérôme expirait.»
SHRN, Fonds Famille Prévost P020, S04, SS03, D02 (Le curé Labelle)
«Quand la grande histoire ouvrira ses arcanes et livrera au jour ce qui reste dans le mystère de la correspondance privée, la figure du curé Labelle resplendira davantage comme l’une des plus belles, des plus originales, des plus pures et des plus sympathiques de notre époque.»