Description du projet

Le Parlement de Québec vers 1895.

AU POSTE !

UN ITINÉRAIRE ORIGINAL
C’est en mai 1888 qu’Antoine Labelle accepte l’offre du premier ministre libéral Honoré Mercier et devient sous-ministre au département de l’Agriculture et de la Colonisation. Recruté pour sa droiture et ses compétences et non pour ses allégeances politiques, il est l’un des rares, sinon le seul ecclésiastique de son époque à détenir un titre ministériel au sein du gouvernement. Dans une lettre adressée à son ami Onésime Reclus, le renommé géographe français, il écrivait: «Mercier, à la veille de la session, me demanda de concourir avec lui à faire réussir la politique que j’idolâtre depuis 15 ans, comme étant la saine, la véritable politique de la Province, celle qui doit faire sa prospérité, sa grandeur et en même temps, raviver la race française. Vive la France !!! Il me parla avec tant de bon sens, tant de sincérité que je crus voir en lui un homme d’État trans- formé en Labelle! Alors, lui refuser nettement mon aide, c’était me renier moi-même et je n’aurais plus été Labelle, pas même Labelleux. Vous devez comprendre que mon chemin de fer est assuré, le chemin de fer de la Gatineau est assuré, le chemin de fer de la Pointe bleue du lac Saint-Jean à Chicoutimi et celui du Témiscamingue est assuré; que la politique qui regarde la colonisation et l’agriculture va prendre un nouvel essor, qui pourra être lent, mais qui je l’espère, deviendra efficace.»1

Il accepta le poste de sous-ministre, mais à certaines conditions: «Pour protéger ma dignité de prêtre, j’ai accepté ce poste à condition que je ne toucherais pas à un salaire comme les autres fonctionnaires, mais à une indemnité comme frais de déplacement et que je jouirais, dans l’administration, d’une indépendance complète.» 2

 

DOMPTER SA NATURE POUR LE BIEN DE LA CAUSE
Désormais armé d’importants leviers, le Roi du Nord s’employa à les faire agir sans relâche pour le bien de la colonisation et celui des colons. Il est toutefois presque impossible d’imaginer cet homme, de nature si dynamique, attaché à un bureau durant de longues heures: «Pour qui connaissait ses habitudes de vie au grand air, son goût et son entraînement pour les courses dans les bois, son besoin constant d’action extérieure et de mouvement au dehors, il était difficile de se figurer qu’il se sentirait à son aise rivé à un fauteuil de fonctionnaire, même si le fauteuil était ministériel et la fonction très élevée.» 3 Antoine Labelle se résigna donc à s’éloigner occasionnellement de son «Royaume du Nord» afin de solidifier les assises de son grand projet de colonisation et d’en assurer la pérennité. Il occupa le poste de sous-ministre de 1888 à 1891. Des années difficiles où il fut la cible de critiques virulentes des uns et de la jalousie des autres. Plusieurs tentèrent même de miner sa crédibilité. Le parcours inhabituel de cet homme d’Église, sa ferveur, son charisme, son mépris de certaines conventions ont à l’évidence contribué à multiplier les attaques mesquines, parfois même cinglantes, émanant du clergé et de la classe politique de l’époque.

SES ACCOMPLISSEMENTS
Le 26 décembre 1890, quelques jours avant sa mort, il rédigea une lettre de démission destinée au premier ministre Mercier. Lettre dans laquelle il dresse le bilan de son œuvre de missionnaire colonisateur: «Je crois que l’objet de ma mission est terminé et, en conséquence, je donne ma démission. L’organisation du ministère de l’Agriculture et de la Colonisation, l’amélioration des lois des terres de la couronne, l’augmentation des octrois pour la colonisation, la construction des chemins de fer dans l’intérieur de la province, la diffusion de renseignements sur notre province dans les pays étrangers pour amener chez nous une saine immigration et élever notre crédit sur le marché financier du monde, la consolidation des rapports de l’église et de l’état, un nouvel élan donné à l’agriculture, la création du mérite agricole, voilà le vaste champ où s’est exercé, en général mon zèle et mon dévouement pour le pays.» 4

Dans l’œuvre Au poste !, la peintre fabuliste nous invite dans le bureau du parlement où Labelle a passé d’innombrables heures «attelé à son pupitre» travaillant pour le bien de ses compatriotes et de la colonisation. Sur le panneau avant du meuble, deux scènes illustrant les deux principales raisons qui l’ont poussé à accepter le poste de sous-ministre: le parachèvement du chemin de fer et la modification de la loi des terres de la couronne (supprimer les réserves forestières et abolir la réserve perpétuelle du bois de pin, conditions qui nuisaient à l’établissement de colons). Derrière le bureau, la bibliothèque du curé, réplique exacte du véritable meuble ayant appartenu au prêtre. Sur les tablettes s’alignent les ouvrages qui l’ont inspiré, les titres de ses amis auteurs et des publications reliées à la colonisation et aux sujets qui lui étaient chers.

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Le curé Labelle au département de l’Agriculture et de la Colonisation, 1889. HAL.
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«J’ai donc fait mon rapport qui est entre vos mains pour correction. C’est une espèce de programme politique. Il le fallait court et frappant juste. Les idées bouillonnent dans la caboche, mais les harmoniser, les revêtir de soie et de fin lin c’est une tâche au-dessus de mes forces. Il me semble toujours que je réchauffe des lieux communs en mauvais français. Pour me débarrasser de cette pensée, je lance ma plume à fond de train et vogue la galère. Pour comble, c’est Buies qui en aura toute la peine parce qu’il sait trop bien le français.»

LABELLE, A. : Lettre du 20 octobre 1888 à Arthur Buies.
Arthur Buies, Correspondance (1855-1901), Francis Parmentier, 1993.