On imagine mal le curé Labelle inactif. L’homme répétait sans cesse qu’il avait toujours « bien des fers au feu ». Même en visite à Rome, une fois sa mission accomplie auprès du Saint-Père, il refuse de se laisser aller à l’oisiveté. La lecture d’un extrait d’une lettre publiée dans un journal de l’époque (vraisemblablement Le monde illustré) suffit à nous en convaincre.

Le texte en question reprend de larges extraits d’une lettre rédigée en août 1890 par  G.A. Drolet, de passage en Europe alors que le curé «sévissait» dans les vieux pays à l’occasion de son deuxième voyage officiel en tant que sous-ministre de la colonisation. La missive de Drolet est adressée au Dr P. E. Mount, un ami de Labelle à qui il souhaitait donner des nouvelles du curé de Saint-Jérôme.

ROME, SELON LE CURÉ DE SAINT-JÉRÔME

On dit que Labelle fut frappé par la profonde misère qui accablait l’Italie centrale. Il ne tarda pas à imaginer des solutions de son cru: « Mgr Labelle, lorsqu’il eut l’oreille au Vatican, ce qui ne fut pas long, fit part aux cardinaux ministres de ses idées sur la situation temporelle. Mgr Labelle dit aux prélats qu’il appartenait au Saint-Père de sauver Rome encore une fois et que Léon XIII pouvait faire pour Rome, au XIXème  siècle, ce que St-Léon 1er fit au 5ème siècle. »*

On le pria de s’exprimer :

«C’est bien simple, répondit le curé de St-Jérôme. Il ne s’agit que de faire de Rome un grand port de mer en creusant un large canal maritime du Fort St. Ange à Ostie. Vous assainissez en même temps les millions d’acres de terre de la campagne romaine, qui aujourd’hui ne produisent que des fièvres paludéennes, et vous convertissez en champs de blé ces champs de malaria. Vous donnez du travail à tous les Italiens qui aujourd’hui meurent de faim et vous redonnez à Rome une splendeur et une prospérité dignes de la capitale du monde catholique. Vous prouverez au monde entier comment l’Église entend le progrès vraiment chrétien et qu’elle seule est capable de sauver l’Italie de la ruine où les extravagances de ses persécuteurs l’ont plongée. Réglez la question de la souveraineté du pouvoir temporel du Saint-Siège en accordant au pape, Rome et une bande de terre jusqu’à la mer, et je me fais fort de faire souscrire et verser dans le trésor pontifical les cinq cents millions nécessaires à l’accomplissement de ce plan.»*

On rapporte que les cardinaux croyaient rêver « en entendant Mgr Labelle, debout, l’œil prophétique, développant ce plan et apportant à l’Église, sa mère, le concours de son génie ».*  Féru de géologie, le curé poursuit: « ce qui rend votre campagne insalubre rend au contraire le creusement d’un canal facile. La compacité de vos terres volcaniques, qui empêche l’absorption des eaux pluviales et enfièvre le voisinage des marais, assurerait le plus beau canal du monde, et d’un entretien peu coûteux »*.

Selon Drolet, devant les étonnantes idées du curé, la surprise des «Éminentissimes cardinaux» s’est rapidement changée en admiration. À tel point que l’on a voulu garder Mgr Labelle au Vatican, estimant qu’il était un «homme de gouvernement remarquable et dont les conceptions hardies, mais justes, devraient être extrêmement utiles au Saint Siège.»* Le Saint-Père aurait lui-même manifesté le désir «d’attacher le curé Labelle au Vatican»*. Offre que le curé de Saint-Jérôme déclina modestement invoquant le rôle qu’il avait à jouer pour la «Province de Québec, Saint-Jérôme et son chef politique, M. Mercier.»*

G. A. Drolet termine sa lettre adressée au Dr Mount en évoquant le patriotisme culinaire du curé: « Tu le verras donc sous peu. Tu ne le trouveras pas changé. Il n’a rien perdu de son embonpoint, son estomac s’accommodant heureusement de la cuisine française , toute inférieure qu’elle soit, dit-il, à la bonne cuisine du lac Témiscamingue. »*

Par André Bérard

*  Lettre de G.A. Drolet, de passage en Europe, adressée à son ami le Dr P. E. Mount.
SHRN, Fonds Famille Prévost P020, S04, SS03, D02 (Le curé Labelle)
Rome à l’époque du curé Labelle
Photo à la une de l’article : le pape Léon XIII et le curé Labelle