Comment le Roi du Nord, lors de son premier voyage en Europe en 1885, a-t-il pu atterrir dans un café-concert où des demoiselles dansaient le french cancan, danse considérée osée et même érotique au 19e siècle? Antoine Labelle, afin de se distraire des dessous parfois sordides de la politique, aurait-il trahi, dans un moment d’égarement, ses vœux d’homme d’Église en se passionnant pour des dessous plus joyeux?

La raison qui explique la présence du gros curé dans un pareil lieu de perdition, quoique moins croustillante, n’en reste pas moins fort amusante.

D’une nature distraite et d’ordinaire bon prince, le curé acceptait de bon cœur toutes les invitations, parfois, sans trop y réfléchir. Ce qui parfois le plaçait dans des situations embarrassantes : «Étant à Paris en 1885 — d’autres on dit que l’aventure avait eu lieu à Anvers, quand il alla visiter l’exposition au cours de son premier voyage en Europe — le curé Labelle rencontre de ses amis du Canada, des hommes importants, qui l’amènent dîner et le persuadent après le dessert qu’il doit aller avec eux à un café-concert. Le curé bon enfant, se laisse faire. Il y avait là des demoiselles, légèrement vêtues, qui dansaient tout aussi légèrement. Le curé n’y tint pas longtemps. «Qu’est-ce qu’elles ont à tourbillonner comme ça, fit-il, ces pauvres filles ? Restez là, vous autres, si ça vous amuse. Moi, je vais vous attendre là-bas, en disant mon bréviaire.» Et il s’esquiva.»*

Les tourbillonnements des «pauvres filles» ne sont pas arrivés à étourdir le Roi du Nord qui s’en est tiré à bon compte en se réfugiant dans son salutaire bréviaire!

Par André Bérard

*Le curé Labelle, sa vie et son œuvre, l’abbé Elie-J. Auclair, 1930.
Photo: L’incroyable histoire du cancan – Rebelles et insolentes, les parisienness mènent la danse. Éd. Parigramme.