Par André Bérard

Une anecdote amusante…

Arthur Buies, ami et complice du curé Labelle, fut mandaté pour écrire des monographies vantant le potentiel des différents territoires du Québec. Labelle vouait une véritable admiration au talent littéraire de Buies qu’il qualifiait de «chantre des Laurentides». Il est vrai que la plume du journaliste-pamphlétaire, une fois lancée, parvenait à envoûter le plus réfractaire des aspirants colon par ses panégyriques des espaces vierges et sauvages qui semblaient placés à la vue des hommes dans le seul et unique but de les révéler à eux-mêmes et d’éveiller des sentiments d’exaltation presque mystique..

De fait, certains textes du «vicaire» du curé Labelle sont tellement prenants qu’ils nous font presque regretter de vivre à notre triste époque, privés des rudes, mais combien grandioses misères endurées par les hardis colons de ces temps glorieux! Dans le style propre aux grands écrivains du 19e siècle, la prose lyrique de Buies vise à émouvoir l’âme. Le territoire à conquérir est magnifié, idéalisé. Il devient le creuset où se forge la grandeur de l’homme.

Mais la plume de Buies devient plus prosaïque lorsqu’il écrit à sa femme pour lui relater la réalité des coulisses de ses expéditions en compagnie du gros curé: «J’ai passé la journée d’hier en voiture avec le curé. […] Nous étions dans une planche; aussi je t’assure que c’est fatiguant que de voyager de la sorte avec un gros homme comme le curé, qui prend les trois quarts de la place et à attraper des crampes et du froid de vingt manières. Pour du froid, j’en ai tant attrapé qu’aujourd’hui je souffre d’un mal de reins atroce, qui ne me permet ni de me retourner, ni de me lever vivement, ni même d’éternuer, sans lâcher un ouac. Je ne me rappelle pas avoir eu un mal de reins aussi fort depuis longtemps.»*

En véritable portraitiste épris d’authenticité, Buies s’est physiquement plongé au cœur des territoires sur lesquels il devait écrire. Il a arpenté les mauvais chemins de colonisation à peine carrossables, dormis dans des conditions misérables se mesurant aux mêmes difficultés auxquelles devaient faire face les colons. Grâce à cet admirable dévouement envers sa mission, il nous a livré certaines des plus belles descriptions de nos paysages. Sources d’inspirations, ses mots sont aussi devenus ses maux.

Lombalgie et rhumatisme, c’est aussi ça la colonisation…
Heureusement, à l’époque, on semblait disposer d’une panoplie de remèdes miracles pour pallier à ces contrariétés!

SCL-barouche

Voiture de travail.
Aussi appelée «express», cette voiture était d’usage courant pour le transport léger.
Elle s’apparente à la «planche» mentionnée par Buies dans sa lettre.
(Les voitures à chevaux à la campagne. Paul-André Leclerc. Éd. Musée François-Pilote, La Pocatière)

* Arthur Buies, correspondance (1855-1901). Francis Parmentier, éditions Guérin littérature, 1993.
Image publicité St-Jacobs oil : Le monde illustré, 1890-91, collection privée Dominique Beauregard