Par André Bérard
Depuis le lancement de la nouvelle série Les pays d’en haut, en janvier dernier, on nous demande fréquemment s’il est vrai que le Roi du Nord était le pugiliste prompt à décocher des coups de poing que l’on nous présente dans le remake de l’œuvre de Claude-Henri Grignon.
Rappelons que, dans la série originale, l’auteur adélois avait lui-même écrit une scène de bataille opposant le curé et Séraphin qui refusait d’acquiescer à la requête de Labelle qui l’enjoignait à acheter un moulin à scie pour venir en aide aux colons. Le gros curé, dans un accès de colère, empoigne Séraphin et tente de le passer par-dessus la rambarde du pont où se déroule l’action. C’était bien sûr de la fiction.
Dans l’état actuel de nos connaissances, aucun texte dans les archives, la correspondance du curé ou les ouvrages qui lui sont consacrés ne relate un événement où Antoine Labelle se serait battu de la sorte, soit pour obtenir gain de cause ou lors d’une cabale électorale aussi enflammée fût-elle.
Cependant, quelques récits décrivent un curé qui ne dédaignait pas les tiraillages amicaux et qui acceptait volontiers les épreuves de force qui lui étaient proposées, comme en témoigne cette anecdote racontée par Edmond Grignon dans son livre En guettant les ours où le Roi du Nord aurait fait mordre la poussière deux fois plutôt qu’une au grand Ménard: «Narcisse Ménard, que j’ai bien connu, puisqu’il fut l’un des premiers colons de mon pays de Sainte-Agathe, m’a raconté lui-même cette aventure. La veille, histoire de s’amuser, ils s’ étaient mesurés dans une lutte à grands-bras et le curé l’avait terrassé. Tous les campeurs se moquaient de Ménard qui, pour s’excuser, leur disait qu’il n’avait pas osé, par respect pour un prêtre, employer toute sa force, mais que s’il l’avait voulu il l’aurait battu. Toutefois, on le taquina tellement qu’il décida de se reprendre à la prochaine occasion, et c’est pourquoi il apostropha le curé par ces paroles : C’est ben de valeur, M. le curé, mais vous allez être obligé de baiser la vieille. Et le curé Labelle de rétorquer hardiment : Tu sauras, mon Ménard, que c’est toé qui va la baiser la vieille, et lui désignant le sol, il ajouta: Tu vas baiser la vieille terre — Ça se fait à deux, ça, M. le curé, reprit le terrible colon, et il fonça sur son adversaire.» 1
Ce fut un combat épique entre deux titans: «Les campeurs, excités, criaient: Courage, M. le curé! Tiens ben, Ménard!. Le curé, trop lourd pour son adversaire, semblait perdre du terrain. Alors, il se décida d’employer un truc de combat qu’il avait pratiqué dans sa jeunesse et faisant un dernier et suprême effort, il appliqua un habile croc-en-jambe à son rival qui roula sur la grève; puis, pesant de ses cent soixante kilos sur le corps du vaincu, il lui enfonça la figure dans le sable en lui criant : Baise-là, la vieille, mon Ménard, baise-là»
Une autre anecdote, tirée cette fois de la mémoire familiale des Trépanier et racontée par M. Jean-Louis Trépanier qui tient un commerce à Rivière-Rouge. Elle met en scène son aïeul Honoré Husereau et confirme le penchant du curé pour les jeux musclés : «Quand le curé Labelle se rendait au Lac des Sables, à Sainte-Agathe, il aimait se tirailler avec Honoré. Pas de vraies batailles, juste du tiraillage pour s’amuser. Mais le curé Labelle devait être très fort pour se mesurer à ce jeune homme robuste qui était contremaître sur le chemin de fer».
Le curé Labelle était connu pour ses colères soudaines, volcaniques, aussi retentissantes que passagères. L’un de ses vicaires en fit personnellement l’expérience, comme le curé le rapporte lui-même dans cet extrait d’une lettre qu’il adressait à Mgr Fabre le 24 juin 1877 : «Le lendemain après ma messe, il me demanda [le vicaire] de suite son argent. Je lui dis que je ne pouvais l’avoir à la parole, car je devais l’avoir dans l’après-midi. C’est alors qu’il me dit qu’il fallait avoir bien peu d’esprit que de demander le rappel de son vicaire sans avoir d’argent pour le payer. À pareille impertinence, je me levai, je le pris par le bras, le conduisit à la porte, lui mit mon pied au derrière en lui disant restez à présent, mais vous méritez de sortir de ma maison de cette manière-là par vos insolences.» 2
Si le curé Labelle n’était pas un batailleur au sens péjoratif du terme, il était assurément un infatigable battant. Et les batailles qu’il a livrées, au nom de la colonisation et de ses chers colons, l’ont été avec des mots et des idées. Ses poings ont dû s’abattre plusieurs fois sur son bureau de sous-ministre de la colonisation, mais jamais dans la figure de qui que ce soit.